vendredi 9 janvier 2015

8 janvier 2015


Hier, mercredi 7 janvier 2015 à Paris, l’indicible s'est produit.

« Mais comment ils ont fait les terroristes pour venir de Syrie ?» a dit l'enfant à la table familiale...

Non mon grand, ils ne sont pas venus d'ailleurs, ils sont d'ici et ils ont choisi la force, la violence et la haine.

« Pourtant, c'est avec des armes comme à la guerre ! Normalement à Paris, on est en sécurité quand même, c'est la France ! On est libre ! ».

Oui c'est la France.

Alors dimanche, avec tant d'autres, nous irons marcher, en famille. Pour ne pas confondre religion et terrorisme. Pour affirmer, dans un silence que l'on espère tellement plus fort que les polémiques politiques, notre attachement à la liberté d'expression, à la liberté de penser, au vivre ensemble si fragile et pourtant si infiniment précieux.


Hier à Paris l'indicible s'est produit et ce matin avec ma valise d'albums jeunesse j'ai pris le chemin de la petite maison au milieu des barres d'immeubles.

Petit bâtiment vétuste, il sert à la fois de lieu d'accueil parents-enfants à la manière de Dolto et de permanence une fois par semaine au cœur du quartier pour l'assistante sociale et la PMI.

C'est un lieu grouillant de vie. Les familles se rencontrent, s'interpellent, échangent les nouvelles. Des familles aux nombreux enfants, de jeunes mères isolées, des hommes seuls, des voisins qui viennent pour traduire. Des familles installées depuis longtemps, des nouveaux arrivants, des demandeurs d'asile en attente. Tant de langues ! Tant d'histoires et de parcours singuliers.

Et en salle d'attente : des enfants, qui observent, avec prudence, apprennent la confiance après plusieurs rencontres. D'autres plus intrépides se saisissent des livres, des jeux, s'installent, vivent leur vie, sous l’œil complice, amusé des adultes.

Les plus âgés sont là aussi, pour rencontrer l'assistante sociale ou pour accompagner les petits enfants à la consultation PMI.

Un joyeux brassage, de situations, d'âges, de couleurs, d'origines... mais un même quotidien : la vie dans ce quartier, dans une petite ville de province, quelque part dans le sud de la France...

Ce matin plusieurs rendez vous PMI se sont annulés. C'est un peu plus calme que d'habitude.


Il est arrivé le premier, pour la permanence de l'assistante sociale.
Il attend son tour, tranquillement sur sa chaise. Discret, en retrait. Sous la calotte d'hiver traditionnelle, les rides sont là, la peau burinée, les cheveux grisonnent. On imagine volontiers une retraite calme après des années de travail.

Elle est arrivée peu de temps après. Tellement plus volubile !
Et elle s'est tout naturellement installée sur la chaise libre à coté de lui. Les deux chaises sont très proches, il a été un peu surpris ! Tout aussi âgée que ce voisin qu'elle ne connaît visiblement pas, elle cherche le contact, accroche un bébé du regard et lui parle avec tant de plaisir ! Petit bonhomme, installé sur les genoux de sa mère, le lui rend bien !
Ça gazouille de toute part !

Et le vieux monsieur sourit, ses yeux rieurs brillent devant l'enfant qui gesticule en réponse à la vieille dame.

Quand l'enfant part en consultation, la vieille dame continue sa conversation, nous regardons plusieurs livres pour enfants : « moi je suis curieuse, ça m'intéresse tout ça ! Il faut continuer à découvrir ! C'est fascinant, vous avez vu comme il vous écoute le petit quand vous lui racontez une histoire ! On dirait pas comme ça, mais si petit! Ils écoutent bien en fait, on dirait qu'ils comprennent tout ! »

Elle reprend « beaucoup de beaux bébés », elle tourne les pages lentement comme si elle s’imprégnait de chaque image.
Et le vieux monsieur, assis à ses cotés, n'en perd pas une miette. Au début toujours dans sa réserve puis petit à petit, il penche de plus en plus sa tête vers le livre et avec des hochements de tête, il acquiesce aux remarques de sa voisine, à ses commentaires.

Je leur propose « écoles du monde » et « tous à table ». Comme ils commencent à tourner les pages, je reçois un coup de fil important. Je sors pour prendre mon appel.

Mais à travers la vitre, je peux voir ce spectacle, saisissant, précieux. Je voudrais être peintre ou photographe pour en restituer toute la luminosité.
Une dame et un monsieur, d'origines différentes, voisins mais qui ne se connaissent que de vue, aux parcours de vie probablement si différents, tout aussi ridés l'un que l'autre, sont penchés sur un livre, qui montre la scolarité des enfants à travers le monde. Ici au cœur du quartier, dans notre petite ville de province, quelque part dans le sud de la France


Nous sommes le 8 janvier 2015.
Et ce matin, ici, c'est la France.
Vivre ensemble est possible.


Et mon cœur s'est un peu réchauffé.