Hier, mercredi 7
janvier 2015 à Paris, l’indicible s'est produit.
« Mais comment
ils ont fait les terroristes pour venir de Syrie ?» a dit
l'enfant à la table familiale...
Non mon grand, ils
ne sont pas venus d'ailleurs, ils sont d'ici et ils ont choisi la force, la
violence et la haine.
« Pourtant,
c'est avec des armes comme à la guerre ! Normalement à Paris,
on est en sécurité quand même, c'est la France ! On est
libre ! ».
Oui c'est la France.
Alors dimanche, avec
tant d'autres, nous irons marcher, en famille. Pour ne pas confondre
religion et terrorisme. Pour affirmer, dans un silence que l'on
espère tellement plus fort que les polémiques politiques, notre
attachement à la liberté d'expression, à la liberté de penser, au
vivre ensemble si fragile et pourtant si infiniment précieux.
Hier à Paris
l'indicible s'est produit et ce matin avec ma valise d'albums
jeunesse j'ai pris le chemin de la petite maison au milieu des barres
d'immeubles.
Petit bâtiment
vétuste, il sert à la fois de lieu d'accueil parents-enfants à la
manière de Dolto et de permanence une fois par semaine au cœur du
quartier pour l'assistante sociale et la PMI.
C'est un lieu
grouillant de vie. Les familles se rencontrent, s'interpellent,
échangent les nouvelles. Des familles aux nombreux enfants, de
jeunes mères isolées, des hommes seuls, des voisins qui viennent
pour traduire. Des familles installées depuis longtemps, des
nouveaux arrivants, des demandeurs d'asile en attente. Tant de
langues ! Tant d'histoires et de parcours singuliers.
Et en salle
d'attente : des enfants, qui observent, avec prudence,
apprennent la confiance après plusieurs rencontres. D'autres plus
intrépides se saisissent des livres, des jeux, s'installent, vivent
leur vie, sous l’œil complice, amusé des adultes.
Les plus âgés sont
là aussi, pour rencontrer l'assistante sociale ou pour accompagner
les petits enfants à la consultation PMI.
Un joyeux brassage,
de situations, d'âges, de couleurs, d'origines... mais un même
quotidien : la vie dans ce quartier, dans une petite ville de
province, quelque part dans le sud de la France...
Ce matin plusieurs
rendez vous PMI se sont annulés. C'est un peu plus calme que
d'habitude.
Il est arrivé le
premier, pour la permanence de l'assistante sociale.
Il attend son tour,
tranquillement sur sa chaise. Discret, en retrait. Sous la calotte
d'hiver traditionnelle, les rides sont là, la peau burinée, les
cheveux grisonnent. On imagine volontiers une retraite calme après
des années de travail.
Elle est arrivée
peu de temps après. Tellement plus volubile !
Et elle s'est tout
naturellement installée sur la chaise libre à coté de lui. Les
deux chaises sont très proches, il a été un peu surpris !
Tout aussi âgée que ce voisin qu'elle ne connaît visiblement pas,
elle cherche le contact, accroche un bébé du regard et lui parle
avec tant de plaisir ! Petit bonhomme, installé sur les genoux
de sa mère, le lui rend bien !
Ça gazouille de
toute part !
Et le vieux monsieur
sourit, ses yeux rieurs brillent devant l'enfant qui gesticule en
réponse à la vieille dame.
Quand l'enfant part
en consultation, la vieille dame continue sa conversation, nous
regardons plusieurs livres pour enfants : « moi je suis
curieuse, ça m'intéresse tout ça ! Il faut continuer à
découvrir ! C'est fascinant, vous avez vu comme il vous écoute
le petit quand vous lui racontez une histoire ! On dirait pas
comme ça, mais si petit! Ils écoutent bien en fait, on dirait
qu'ils comprennent tout ! »
Elle reprend
« beaucoup de beaux bébés », elle tourne les pages
lentement comme si elle s’imprégnait de chaque image.
Et le vieux
monsieur, assis à ses cotés, n'en perd pas une miette. Au début
toujours dans sa réserve puis petit à petit, il penche de plus en
plus sa tête vers le livre et avec des hochements de tête, il
acquiesce aux remarques de sa voisine, à ses commentaires.
Je leur propose
« écoles du monde » et « tous à table ».
Comme ils commencent à tourner les pages, je reçois un coup de fil
important. Je sors pour prendre mon appel.
Mais à travers la
vitre, je peux voir ce spectacle, saisissant, précieux. Je voudrais
être peintre ou photographe pour en restituer toute la luminosité.
Une dame et un
monsieur, d'origines différentes, voisins mais qui ne se connaissent
que de vue, aux parcours de vie probablement si différents, tout
aussi ridés l'un que l'autre, sont penchés sur un livre, qui montre
la scolarité des enfants à travers le monde. Ici au cœur du
quartier, dans notre petite ville de province, quelque part dans le
sud de la France
Nous sommes le 8
janvier 2015.
Et ce matin, ici, c'est la France.
Et ce matin, ici, c'est la France.
Vivre ensemble est
possible.