vendredi 3 octobre 2014

Des mots pour la vie...

(1ère publication le 24 septembre)


C'est une jeune maman. Nous la voyons quelques fois à la PMI, elle arrive toujours d'un pas pressé, le visage fermé. Toujours très polie mais toujours sur le qui-vive.

Dans la poussette son fils reste attaché sans bouger, avec très peu de mouvements. Quand on arrive à accrocher son regard, il reste assez peu expressif. Je lui ai déjà présenté des livres mais sans arriver à savoir si cela déclenche quelque chose chez lui ou pas.

Aujourd'hui ils sont tous les deux dans la salle d'attente des assistantes sociales. Je m'approche, nous discutons un peu avec maman, de son fils qui a bien grandi (déjà deux ans!), de cet été où il ne fait pas bien chaud....

Je propose un livre à petit bonhomme, il regarde les pages, sans toucher et sans expression. Maman remercie puis se perd à nouveau dans ses pensées, regarde fébrilement autour d'elle dans l'attente de son tour à la permanence de l'assistante sociale.

Petit bonhomme me regarde, regarde le livre, observe ce qu'il se passe autour de lui. Je n'arrive toujours pas à décrypter son expression.

L'attente est longue pour cette permanence sans rendez-vous. Je vais ainsi naviguer, une partie de la matinée, entre les salles d'attente PMI et sociale, pour passer un peu de temps avec petit bonhomme et sa maman.

Au bout d'un moment arrive une jeune maman avec ses deux enfants : un grand garçon très attentif à son petit frère de deux ans. Celui-ci est en exploration ! Et en mouvement permanent ! Il passe du livre à la cabane, de la cabane au toboggan sans oublier le cheval à bascule !

Petit bonhomme, dans sa poussette, observe le manège.

Pendant que cette famille part en consultation, je suis à nouveau auprès de petit bonhomme et sa maman, toujours en proposition de livres. Tout d'un coup maman m'interpelle :

« Peut-être vous vous saurez ? Mon fils, depuis qu'il est né, je lui parle trois langues, français, arabe et berbère. Mais je vois bien qu'il ne dit pas des mots. C'est de ma faute, ça lui a fait trop de choses dans la tête, mon mari aussi il dit que c'est de ma faute. Je vais arrêter tout ça, il faut juste que je me perfectionne en français... »

Je sens tout le poids de l'inquiétude de cette maman. Tout ce qu'elle veut faire pour le mieux et la peur paralysante de « mal faire ». La pression constante dans laquelle elle se trouve (Pression qu'elle s'impose ? Pression extérieure ? Je ne connais ni son histoire ni sa situation).
La culpabilité qui s'installe et l’inconfort face à cet enfant qui ne réagit pas tout à fait comme on l'attend, comme elle l'espère, alors qu'elle veut « si bien faire »...

Par ailleurs, se poserait elle autant de questions si elle parlait espagnol, anglais ou allemand à son enfant ? Quel regard peut-elle sentir posé sur elle, en tant que jeune femme voilée ? Quelles réticences a-t-elle intégrées et qui conduisent vers une dévalorisation plus ou moins consciente ?

« Ouh là là ! Mais si je parlais anglais le dixième de ce que vous parlez bien le français, je serais la plus heureuse des femmes ! »

Sourire de maman

« Il n'y a pas grand chose à perfectionner ! »

« Après, pour le langage, parlez-en au médecin quand vous venez à la PMI, s'il y a des choses qui vous inquiètent, qui vous interrogent, le médecin et la puéricultrice sont là aussi pour parler avec vous »

« Ah bon, je croyais que c'était juste pour le médical ! »

« Oui pour le médical mais aussi pour tout le développement de l'enfant, et aussi pour les parents. Quand on a trop d’inquiétudes, pour diverses raisons, les enfants le sentent. Pour que les enfants soient bien, il faut que les parents aillent bien aussi, alors le médecin, la puéricultrice, ils sont aussi disponibles pour vous ».

« Pour le langage, je ne suis pas spécialiste, peut être que trois langues ça fait beaucoup, il faut voir. Mais parler plusieurs langues, c'est une sacrée richesse et c'est un très beau cadeau que vous faites à votre fils ! La prochaine fois parlez-en avec le médecin »

Petit bonhomme gigote dans sa poussette, alors je m'adresse à lui :
« Mais tu en as de la chance dis donc ! Tu as une super maman ! Elle est trop forte ! Elle sait parler français, arabe et berbère, ouah tout ça ! Il n'y a pas beaucoup de gens qui savent autant de choses ! Et en plus, elle t'apprend tout ça, tu as beaucoup de chance ! Quand tu seras grand, que tu iras à l'école, ce sera facile pour toi d'apprendre d'autres langues parce que tu auras déjà l'habitude. Tu vas pouvoir découvrir plein de choses ! »

Hasard ? Conséquence ? :

Petit bonhomme gigote de plus belle. Et il sourit ! Il regarde sa maman puis entre dans un jeu de cache-cache derrière sa main. Je rentre dans son jeu en me cachant avec un livre qu'il attrape avec une énergie vive.
Il se met à tourner les pages par lui-même, regarde avec une vraie attention tout en lançant un coup d’œil à maman de temps en temps.

La famille partie en consultation ressort et la mère laisse ses enfants jouer un peu.

Le petit court dans tous les sens puis s'installe dans la cabane pour jouer à caché/coucou avec les volets face à petit bonhomme qui rit aux éclats en se trémoussant de plaisir dans sa poussette !

Nous nous installons à proximité avec le grand frère en regardant des documentaires sur les animaux.

Puis ce sera l'heure pour chacun d'être reçu à son rendez-vous ou de rentrer à la maison.

Petit bonhomme sait sourire, il peut se montrer plein de vie , entrer en échange avec un enfant de son âge...

Alors quoi ?

Alors PRENONS SOIN DES MAMANS !!
Alors PRENONS SOIN DES PAPAS !!

Plus de temps, plus d'humain dans les services. C'est dans ce temps non utilitaire, ce temps d'attente revisité que peut se libérer une parole. Cela prend du temps pour que s'installe une confiance...

Alors quoi ?

Alors des lieux d'échanges pour les parents... des lieux pour se soutenir, pour apprendre à se faire confiance. Il n'y a pas qu'un seul chemin pour élever un enfant !

Et il est tellement plus simple d'accompagner à se découvrir parents que de réparer les blessures !

La liaison est faite avec le médecin et les puéricultrices... il me tarde de revoir petit bonhomme et sa maman.