(1ère publication mars 2014)
Les deux frères sont arrivés en courant, ravis de trouver des jouets
dans la salle d'attente. Maman les suit, elle a les traits tirés.
Ses garçons sont plein d'énergie, en perpétuel mouvement .
Le grand est scolarisé en maternelle, le plus jeune est encore à la maison avec sa mère.
Ils
viennent tous les deux vers les livres. Le plus jeune les regarderait
bien mais son grand frère dicte le mouvement. Et après avoir feuilleté
deux, trois pages, il est déjà passé à autre chose. Les gestes sont
nerveux, saccadés, un peu difficiles à canaliser. Il y a beaucoup
d'excitation.
Un autre petit garçon est présent, fasciné par ces enfants
plus grands que lui. Il ne demande qu'à participer au mouvement lui
aussi ! Mais il est plus jeune et son pas, encore mal assuré,
l’équilibre fragile.
Les parents commencent à échanger entre eux, contents de se poser un peu. Ma vigilance est maximale devant ce ballet dynamique.
Dans
cette excitation, les trois garçons viennent vers les livres, les
prennent, les posent, les déplacent, les jettent, les installent dans la
cabane.
Il faut montrer, expliquer : « tu vois, on va le poser
doucement, comme ça, il ne s'abîme pas et on pourra relire l'histoire si
on en a envie ». Répéter calmement, expliquer, répéter encore.
Le plus grand monte sur le cheval à bascule, je prends «bateau sur l'eau
» et je commence à chanter pour accompagner son balancement. Le
mouvement des enfants continue mais les paroles se font plus rares, ils
écoutent la chanson.
Le grand descend du cheval, me prend le livre
des mains et s'installe dans la cabane, appelant avec insistance son
frère et l'autre petit garçon. Les trois s'installent dans la cabane.
Je continue à chanter, et il tourne les pages à toute vitesse.
J'enchaîne avec « 1,2,3 qui est là » par la fenêtre de la cabane, le grand se saisit du livre, il tourne aussi les pages mais en me laissant le temps de lire.
Puis
le mouvement reprend.
Le petit garçon part à la consultation.
Et nous
restons avec maman et les deux frères en salle d'attente.
Un peu
dans la cabane, un peu avec les cubes, un peu avec les livres, un peu
avec le cheval à bascule... mais finalement surtout en mouvement de l'un
à l'autre et dans un fort brouhaha.
Maman exprime sa fatigue et son souci devant les vacances qui arrivent.
Puis vient leur tour de passer à la consultation. Normalement j'ai terminé mon intervention, ils sont les derniers à passer.
Pourtant j'aime bien être là, encore, quand ils sortent du rendez-vous, rester disponible jusqu'au bout.
Parfois,
des enfants qui n'ont pas regardé les livres au premier coup, se posent
à leur retour, un peu comme si c'était une deuxième rencontre, qu'ils
se familiarisaient avec ma présence et avec ces livres que je mets à
leur disposition.
C'est quitte ou double, tant pour l’intérêt des
enfants que pour la disponibilité des parents. Mais en règle générale ça
vaut le coup d'essayer.
Ce sera le cas aujourd'hui :
Les
enfants reviennent et le mouvement reprend. Maman s'installe, je pense
qu'elle apprécie ce temps hors de la maison, ces jeux à disposition. Je
lui rappelle la présence sur la ville d'un lieu d'accueil
parents/enfants où les enfants pourront trouver des copains, et des
jouets comme ici.
Elle en a déjà entendu parler, je lui donne le flyer
qui indique les coordonnées et les heures d'ouverture. « C'est vrai que
ça peut être pas mal pour s'occuper pendant les vacances, des fois les
journées sont longues. C'est un peu loin mais je vais essayer d'y aller »
Le
plus petit écoute finalement une histoire mais le grand, lui, est
toujours en mouvement, ce que je commente avec le sourire « il veut
tellement tout voir, tout faire, qu'il est toujours en action ! »
Elle sourit, puis son sourire se fige. Je sens maman pensive tout à coup, retirée en elle-même.
Et
pendant que nous construisons une grande tour avec les cubes, elle
exprime finalement sa pensée « c'est vrai qu'il est toujours comme ça,
moi je ne m'en rends pas compte parce que je suis toujours avec lui,
j'ai l'habitude mais le médecin pense que peut-être il est hypercactif.
Elle m'a conseillé d'aller au CMPP, je l'ai pas trop cru sur le coup.
Vous savez où c'est vous le CMPP? »
En salle d'attente ce
n'est pas la puéricultrice, ni le médecin qui sont présents, je ne suis
même pas repérée comme éducatrice, juste « la dame des livres » pour un
temps de disponibilité autour des livres, des chansons, des comptines
quand c'est possible.
Et des fois, le mouvement des enfants, leur
besoin, leur histoire font que ce n'est pas possible. Alors « la dame
des livres » est juste là pour un temps de disponibilité qui n'attend
rien en retour, un temps de gratuité, sans jugement, sans évaluation.
Jouer à la cabane, à la dînette, construire avec les cubes, accompagner
les échanges entre enfants. Il n'y a pas de diagnostic posé, pas
d'enjeux.
Alors le petit commentaire, positif, descriptif a pu
être entendu sans résistance, sans angoisse, juste pour ce qu'il est :
un petit commentaire descriptif.
Et il est venu faire écho aux
paroles du médecin, complémentarité dans le regard sur l'enfant.
C'est
une maman très attentionnée qui est là, puisqu'elle a entendu le
commentaire et qu'elle lui a donné du sens dans le regard sur son
enfant.
« Non je ne sais pas à quel endroit se trouve le
CMPP, mais venez on va demander à la puéricultrice, vous pouvez lui
faire confiance, elle sait,elle, tout ce genre d'informations, elle est
là justement pour vous conseiller »
Elles sont reparties ensemble chercher les coordonnées et même essayer de téléphoner pour prendre rendez-vous.
Il est temps de ranger ma valise. C'est maintenant que la séance se termine.