vendredi 3 octobre 2014

Zébulons...

(1ère publication mars 2014)


Les deux frères sont arrivés en courant, ravis de trouver des jouets dans la salle d'attente. Maman les suit, elle a les traits tirés.

Ses garçons sont plein d'énergie, en perpétuel mouvement .
Le grand est scolarisé en maternelle, le plus jeune est encore à la maison avec sa mère.


Ils viennent tous les deux vers les livres. Le plus jeune les regarderait bien mais son grand frère dicte le mouvement. Et après avoir feuilleté deux, trois pages, il est déjà passé à autre chose. Les gestes sont nerveux, saccadés, un peu difficiles à canaliser. Il y a beaucoup d'excitation.

Un autre petit garçon est présent, fasciné par ces enfants plus grands que lui. Il ne demande qu'à participer au mouvement lui aussi ! Mais il est plus jeune et son pas, encore mal assuré, l’équilibre fragile.

Les parents commencent à échanger entre eux, contents de se poser un peu. Ma vigilance est maximale devant ce ballet dynamique.


Dans cette excitation, les trois garçons viennent vers les livres, les prennent, les posent, les déplacent, les jettent, les installent dans la cabane.

Il faut montrer, expliquer : « tu vois, on va le poser doucement, comme ça, il ne s'abîme pas et on pourra relire l'histoire si on en a envie ». Répéter calmement, expliquer, répéter encore.


Le plus grand monte sur le cheval à bascule, je prends «bateau sur l'eau » et je commence à chanter pour accompagner son balancement. Le mouvement des enfants continue mais les paroles se font plus rares, ils écoutent la chanson.
Le grand descend du cheval, me prend le livre des mains et s'installe dans la cabane, appelant avec insistance son frère et l'autre petit garçon. Les trois s'installent dans la cabane.
 Je continue à chanter, et il tourne les pages à toute vitesse.

J'enchaîne avec « 1,2,3 qui est là » par la fenêtre de la cabane, le grand se saisit du livre, il tourne aussi les pages mais en me laissant le temps de lire.

Puis le mouvement reprend.

Le petit garçon part à la consultation.
Et nous restons avec maman et les deux frères en salle d'attente.

Un peu dans la cabane, un peu avec les cubes, un peu avec les livres, un peu avec le cheval à bascule... mais finalement surtout en mouvement de l'un à l'autre et dans un fort brouhaha.
 Maman exprime sa fatigue et son souci devant les vacances qui arrivent.


Puis vient leur tour de passer à la consultation. Normalement j'ai terminé mon intervention, ils sont les derniers à passer.
Pourtant j'aime bien être là, encore, quand ils sortent du rendez-vous, rester disponible jusqu'au bout.

Parfois, des enfants qui n'ont pas regardé les livres au premier coup, se posent à leur retour, un peu comme si c'était une deuxième rencontre, qu'ils se familiarisaient avec ma présence et avec ces livres que je mets à leur disposition.

C'est quitte ou double, tant pour l’intérêt des enfants que pour la disponibilité des parents. Mais en règle générale ça vaut le coup d'essayer.


Ce sera le cas aujourd'hui :
Les enfants reviennent et le mouvement reprend. Maman s'installe, je pense qu'elle apprécie ce temps hors de la maison, ces jeux à disposition. Je lui rappelle la présence sur la ville d'un lieu d'accueil parents/enfants où les enfants pourront trouver des copains, et des jouets comme ici.
Elle en a déjà entendu parler, je lui donne le flyer qui indique les coordonnées et les heures d'ouverture. « C'est vrai que ça peut être pas mal pour s'occuper pendant les vacances, des fois les journées sont longues. C'est un peu loin mais je vais essayer d'y aller »

Le plus petit écoute finalement une histoire mais le grand, lui, est toujours en mouvement, ce que je commente avec le sourire « il veut tellement tout voir, tout faire, qu'il est toujours en action ! »


Elle sourit, puis son sourire se fige. Je sens maman pensive tout à coup, retirée en elle-même.

Et pendant que nous construisons une grande tour avec les cubes, elle exprime finalement sa pensée « c'est vrai qu'il est toujours comme ça, moi je ne m'en rends pas compte parce que je suis toujours avec lui, j'ai l'habitude mais le médecin pense que peut-être il est hypercactif. Elle m'a conseillé d'aller au CMPP, je l'ai pas trop cru sur le coup. Vous savez où c'est vous le CMPP? »


En salle d'attente ce n'est pas la puéricultrice, ni le médecin qui sont présents, je ne suis même pas repérée comme éducatrice, juste « la dame des livres » pour un temps de disponibilité autour des livres, des chansons, des comptines quand c'est possible.
Et des fois, le mouvement des enfants, leur besoin, leur histoire font que ce n'est pas possible. Alors « la dame des livres » est juste là pour un temps de disponibilité qui n'attend rien en retour, un temps de gratuité, sans jugement, sans évaluation.
 Jouer à la cabane, à la dînette, construire avec les cubes, accompagner les échanges entre enfants. Il n'y a pas de diagnostic posé, pas d'enjeux.

Alors le petit commentaire, positif, descriptif a pu être entendu sans résistance, sans angoisse, juste pour ce qu'il est : un petit commentaire descriptif.
Et il est venu faire écho aux paroles du médecin, complémentarité dans le regard sur l'enfant.

C'est une maman très attentionnée qui est là, puisqu'elle a entendu le commentaire et qu'elle lui a donné du sens dans le regard sur son enfant.


« Non je ne sais pas à quel endroit se trouve le CMPP, mais venez on va demander à la puéricultrice, vous pouvez lui faire confiance, elle sait,elle, tout ce genre d'informations, elle est là justement pour vous conseiller »

Elles sont reparties ensemble chercher les coordonnées et même essayer de téléphoner pour prendre rendez-vous.


Il est temps de ranger ma valise. C'est maintenant que la séance se termine.