jeudi 9 octobre 2014

Jeux vidéos vs livres??


Quelque part dans le sud de la France, en ce début d'automne, des professionnels de divers horizons, des bénévoles, intervenants dans le secteur de la petite enfance, se sont retrouvés sur proposition du Conseil Général, pour une réflexion sur la place du numérique dans la vie des tout-petits.

A cette occasion nous avons pu entendre et échanger avec plusieurs intervenants.

Dont Mme Vanessa Lalo :

« Psychologue clinicienne chercheuse, Vanessa Lalo s'interroge sur les nouveaux médias numériques allant des jeux vidéos aux serious games en passant par les réseaux sociaux.
Elle a travaillé avec Serge Tisseron et s'intéresse de près à l'enjeu du numérique chez le tout-petit et plus généralement à son impact au sein de la famille. »

Son intervention a été des plus passionnante bien qu'assez éloigné de l'univers de la petite enfance (qui a été plus abordé par d'autres intervenants).
Elle a posé les bases pour un changement de regard sur ces nouvelles technologies parées de toutes les vertues ou bien présentées comme responsables de tous les dangers.

Voici les quelques éléments que j'ai relevé. Cela de façon simplifié, mais qui peuvent donner des pistes pour aborder ce thème ou approfondir des recherches personnelles.

Voici également le lien vers son site pour accéder à une présentation plus complète de l'étendue de ses travaux:



et voici donc mes notes :
  • En français, un seul terme pour désigner le jeu alors qu'en anglais deux notions sont différenciées  
    gaming : le jeu, les règles.
    playing : l'activité de jouer.

  • Le jeu est la première activité de l'enfant avec la découverte de son propre corps, ce qui va participer de sa construction identitaire.

  • Pourquoi jouer ?
     - prendre conscience et accepter la réalité qu'on ne maîtrise pas toujours.
    - découverte d'un espace potentiel (dans le jeu tout est possible) - intégration de cet écart entre plaisir et réalité et pouvoir en jouer.
  • Le jeu est un miroir grossissant de la construction de la personne. L'observation en situation de jeu va donner des informations importantes pas toujours accessibles en entretien.

  • De la même façon, on peut observer l'investissement (ou non investissement) de l'avatar. Ce qui était un simple pion nous représentant sur un plateau de jeu est devenu figurine puis un avatar modulable. Les choix dans cette personnalisation vont donner des éléments importants : comment la personne se voit ? Comment veut-elle se montrer aux autres ? (est-ce que cela relève des failles?). On peut le rapprocher de ce qu'adolescents (ou adultes) donnent à voir sur profil facebook : que donne-t-on à voir comme image de soi?

  • Les jeux sont construits selon une grille classique :
    - les règles
    - les objectifs
    - éléments perturbateurs (obligent à se réajuster, ce qui constitue l’intérêt de la partie)
    - interactions, gratifications
    - histoire, univers (graphisme, univers sonore)
    - engagement, immersion par le corps.

  • Attention, souvent ce qui attire notre regard c'est le graphisme, l'univers sonore qui vont nous donner un première impression, axer notre jugement sur le jeu (violent ou inoffensif). 

    MAIS c'est bien au contenu qu'il faut être attentif ! Quelle est la mécanique du jeu ? Quelles sont les valeurs véhiculées ? Est-ce un jeu de destruction ? De construction ?
    Exemple donné : angry bird, graphisme inoffensif et pourtant il s'agit bien de tuer des cochons !

  • Théorie du FLOW, apport de la sociologie et reprise (contre toute attente) par tous les professionnels des jeux.

    Trouver l'équilibre entre une ligne « compétences » :
    trop difficile = décrochage trop facile = ennui

     Et une ligne « challenge » :  
     trop difficile = anxiété trop facile = décrochage

Un bon jeu sera celui qui trouve un équilibre avec des gratifications suffisantes par la réussite grâce à la maîtrise des compétences et qui proposera des challenges de difficultés atteignables.

  • Exemple de Minecraft, qui sollicite à la fois des connaissances et de la créativité.
  • La grande phrase du jour (pour moi!) : les jeux vidéos sont des outils comme les autres
    Ils ne présentent pas de dangerosité intrinsèque ! Mais la grande question sera que va-t-on en faire ? Un jeu pour quel usage ? Quel est le principe que l'on veut y apposer ?
    Pour avoir la paix ? Pour partager ? Pour se défouler ? Pour extérioriser une agressivité ? Pour se protéger du réel ?... etc liste aussi longue que les situations de vie. Le numérique et son utilisation viennent bien s'inscrire dans le réel, donner à voir du réel d'une façon différente. Par exemple le mode de jeu : seul, en équipe ? En compétition, en coopération ?...

  • L'intervenante attire notre attention sur les jeux « dits » sociaux, … qui ne sont pas des jeux car ils ne font pas appel au plaisir, à l’acquisition de compétences mais dont le but est exclusivement commercial : jeux qui frustre, pas de gratification, confrontation à un but inatteignable seulement pour déclencher des achats. (candy crush...)
  • « Quand c'est gratuit... c'est que c'est vous le produit ! »
  • Terme d'addiction galvaudé, on préfère parler aujourd'hui de consommation excessive à un moment donné . Et attention aux étiquettes qui enferment.
    Ex : un problème pour un jeune à un moment donné sera un mal-être, sa solution se réfugier dans le jeu vidéo en ligne. Au final ce qui est une tentative de solution à ce moment là pour le jeune pour ne pas se laisser envahir par la dépression (position active, jeu en réseau donc échange avec d'autres même sous couvert d'anonymat), peut être intensif mais passager.
    A l'inverse si l'étiquette des adultes se pose sur addiction : ce qui devient le problème c'est le comportement excessif qui est décrit comme identité définitive donc devient le problème à régler et on va alors passer complètement à coté du mal-être qui était bien le problème initial.
    Importance d’entendre la souffrance qui s'exprime et la tentative de solution à ne pas dévaloriser mais à accompagner.
  • Les chiffres du jour... pour lutter efficacement contre les préjugés !
    80% des français jouent aux jeux vidéos dont 52 % de femmes
    la moyenne d'âge du joueur est de 41 ans, et la moyenne de jeu est de 12 heures par semaine. (on est loin de l'ado boutonneux enfermé dans sa chambre!)

  • Le rôle des réseaux sociaux dans le rapport au temps et à l'espace, très décriés et pourtant s'inscrivent dans une modification du rapport spatio-temporel engagé avec le progrès sur un continuum : développement du transport voiture, avion, apparition des communications téléphone, internet...
    Aujourd'hui: apparition de l'immédiateté : nouvel apprentissage à faire pour gérer. Quelles règles on se fixe ? Question de volonté, de choix personnel. (Quelles règles pour nos enfants... et pour nous mêmes ! Qu'est ce qu'on propose à nos enfants à coté ou en parallèle ? Quelle qualité de relation si nous nous laissons nous-mêmes envahir par la connexion toujours possible?)

  • Et avec les 0-2 ans cette évidence s'impose de façon flagrante : non à l'écran passif ! Mais pourquoi pas des tablettes avec un temps précis, un objectif précis avec le choix d'applications de qualité (une histoire et des jeux qui y sont associés pour s'approprier le texte de façon ludique).
  • Et avec des ados, « écran » oui mais pour quoi faire ? Une heure de vidéos en ligne : passif. Un heure dans un jeu en construction : pourquoi pas ? Et ainsi de suite, on est bien dans une question de choix et d'objectifs.

    « Réel et numérique : c'est la même chose, le même quotidien. Juste un outil parmi d'autres. Comment choisissons-nous d'utiliser cet outil ? Le numérique sera ce que nous en ferons ! »


Et voilà un éclairage qui nous fait sortir d'une opposition stérile entre livres et écrans. Les quelques applications pour tout-petits présentées donnaient vraiment envie d'être explorées.

Une autre intervenante a décrit le métier de bibliothécaire comme potentiellement en évolution vers de la médiation sur les contenus et les supports... alors qui sait ? Même si je suis tout particulièrement attachée aux livres que je promène dans ma valise à la rencontre des petits lecteurs, peut être, dans quelques années au milieu des livres se glissera une tablette !

Tant que l'essentiel est là : la rencontre, le partage, après tout... pourquoi pas !


Edit: tadam!! voici le lien de la même conférence donnée dans un autre département (internet c'est vraiment magique):

conférence pierresvives département de l’Hérault

Bon visionnage!